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Texte Jean Dusaussoy / Photos Erika Ede

L'île aux amphores (Corse)

Si Yves Canarelli, du Clos éponyme, a été le premier à utiliser l'amphore sur l'île de beauté, faisant ainsi partie avec Philippe Viret, Jean-Claude Lapalu, Stéphane Tissot, Frédéric Niger, à la fin des années 2000, des pionniers des vins en amphore en France avec comme point commun leur potier, Alain Berthéas, (nous en reparlerons), d'autres vignerons sur l'île utilisent l'amphore comme contenant de vinification et/ou d'élevage. A commencer par Christian Estève, près d'Aléria, au Clos Canereccia.

“ L'amphore est une matière poreuse qui a sa philosophie. Qui dit matière poreuse dit micro-oxigénation, ce qui donne obligatoirement un coté légèrement oxydatif. Cela reste une logique, mais attention oxydatif, pas oxydé ! On ramasse à la main, cagette, chambre froide 24 à 48 heures, éraflage, grains entiers et on part en vinification en levures indigènes aussi bien en rouge qu'en blanc pendant trois à quatre semaines. Deux pigeages par jours et on va venir écraser les grains contre les parois de l'amphore, (des dolia montées à la main de chez Terres d'Autan), puis soutirage et élevage en amphore de 5 mois (pour les blancs) à 12 mois (pour les rouge). Sans sulfite, non collé, non filtré ”

Christian Estève dans sa cave à amphore, taillée dans les anciennes cuves béton de la cave paternelle

Nous commençons la dégustation avec le Vermentinu 2018. Un esprit nature (sans les déviances) qui était là dès le premier millésime en 2014, avec cette oxydation maîtrisée et de beaux amers en bouche, parfaits pour accompagner des pâtes à l'araignée, tout comme pour la charcuterie ou les fromages, corses bien sûr, mais pas que. De l'avantage des blancs en macération pelliculaire alliant acidité propre aux blancs aux tanins d'un rouge.

Côté rouge, l'oxydation est beaucoup moins marquée, mais la porosité du contenant laisse sa marque sur le vin. Une marque en creux, l'amphore retenant de la matière, à la manière d'un graveur qui creuse la plaque pour mieux faire ressortir le motif. Si le Niellucciu (2016) reste sur la puissance et l'astringence, dues à ses tanins, digne d'une gravure sur bois, le Carcaghjolu Neru (2017) est une eau-forte. Là où le vernis fut gratté, la plaque est mordue par l'acide pour lui donner un relief équilibrée. Et avec le Minustellu (2017), nous nous trouvons face à une pointe sèche qui donne ce côté velouté. “ Ce vin a une âme ” dit Christian Estève de ce premier millésime. Un vin qui ne s'impose pas d'emblée et dont il faut laisser monter sa subtile graphie en soi...

Changement de philosophie au Clos Venturi & Domaine Vico, unique vignoble de la région Centre Corse (Morosaglia/Ponte Lecia), où amphores et oeufs en béton sont utilisés uniquement pour l'élevage des vins. Il s'agit plus ici d'assagir les tannins sans les marquer par le bois pour les rouges avec l'argile ou obtenir plus de volume sur les blancs avec le grès.

Deux choses que Manu Venturi (cf. photo ci-dessous) met à l'oeuvre depuis 2011 au domaine familial avec avec les cuvées Chiesa Nera (Eglise noire) en blanc comme en rouge, issus de parcelles complantées de cépage autochtones en altitude. 7 cépages autochtones pour le rouge et 3 pour le blanc. Des vins cousus mains, tout comme les cuvées parcellaires du Domaine Vico qu'il gère également, U Formiu et A Mina.

Avec la bien nommée cuvée Les Empiriques, au Clos Marfisi à Patrimonio, retour à une vinification intégrale en amphore. Un empirisme que nous explique Mathieu Marfisi (photo ci-dessous) : “ Pour les rouges (Niellucciu) en 14 et 15, c'était seulement de l'élevage, mais assez long, environ 24 mois pour fondre les tannins. A partir de 2016, on est passé sur de macération en amphore comme pour le blanc, mais, en 2016, tout en grappe entière alors qu'en 2017, c'est moitié égrappé. A chaque fois, ça change, plaisante-il. Ce sont des macération d'environ un mois pour les rouges, alors que sur les blancs (Vermentinu) cela varie selon la maturité (de 3 semaines à 12 mois). On s'est aperçu que si la macération est trop courte, le vin peut manquer de matière et se fatiguer plus vite à l'élevage (environ six mois pour les blancs). La macération apporte un peu plus de texture au vins.” Comme si l'amphore prenait l'empreinte du millésime pour la restituer dans le verre. Une sensation très nette à la dégustation où chaque millésime est très marqué.

Une méthode de vinification que le vigneron, avec sa soeur Julie, ont commencé également à tester sur des parcelles de muscat avec la vendange 2017.“ En 2018, les sangliers les ont tous mangés ” se souvient Mathieu. Toujours est-il qu'en août 2019, les vins travaillaient encore : 15 degrés d'alcool et 70 grammes de sucres résiduels, mais ils devraient encore continuer à "manger ses sucre" pour arriver à 16 degrés et 50 grammes de sucre. “ On va devoir trouver d'autres vinifications car pour les Muscats* classiques (VDN) cela devient difficile. Et encore, comme nous sommes en bord de route, il reste une clientèle de passage, mais dans le réseau CHR, c'est devenu très compliqué.”

Toujours à Patrimonio, Antoine Arena a une cuvée en préparation pour laquelle il a fait fabriquer par un potier local ses propres amphores et d'autres domaines ont des cuvée en amphore comme la néo-vigneronne Laetitia Albertini à Oletta ou Pierre Acquaviva au domaine Alzipratu (Zilia) avec la cuvée Cismonte. L'amphore sur l'île a encore de beaux jours devant elle.

(1) A noter aussi l'apparition de cuvées en pétillant demi sec avec ce cépage, comme cette Nuit bleue de la cave d'Aléria qui ne manque pas d'humour.

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