Yquem, l'art d'assembler / Lorenzo Pasquini

Texte Jean Dusaussoy

Lorenzo Pasquini & Grappe botritysée / Photos DR

Durant Wine Paris, Lorenzo Pasquini, directeur d’exploitation de l'unique premier grand cru supérieur du classement de 1855, avait convié quelques journalistes au Petit Sommelier pour une classe de maître, comme on dit élégamment à Bruxelles, sur l’assemblage du dernier millésime, 2022.

A partir de six échantillons, sur la quinzaine de lots qui entrent dans ce millésime, comprendre comment trouver l'équilibre entre les quatre points cardinaux du vin. Non seulement la balance entre le sucre et l'acidité, mais également avec l'amertume et la salinité. Un exercice, qui ressemble fort à l'assemblage de vins clairs dans l'élaboration d'un champagne, pour donner naissance à une promesse.

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Tout changer pour que rien ne change ?

« On ne s’approprie pas le mythe qu’est Yquem, on se sent un peu plus en confiance, débute Lorenzo Pasquini. « La relation avec ce monument est quelque chose qui peut être très intimidant au début et prend du temps à se mettre en place. Quand on rentre à Yquem, on sent tout de suite le poids de cette histoire et il faut du temps pour arriver premièrement à la comprendre et deuxièmement quels sont les éléments à préserver, protéger et transmettre et quels sont ceux que l’on peut se permettre et que l’on doit même faire évoluer afin qu'Yquem conserve sa place. Pour ça, il faut arriver, avec un tout petit peu d'insolence par moments, à dépasser ce géant que l'on a devant et derrière nous, et à d'autres moments, ne plus sentir le poids de cette histoire sur les épaules, mais monter sur les épaules de l'histoire pour avoir une capacité à regarder plus loin. »

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Salé ou sucré ?

« Au-delà des accords, » poursuit Lorenzo, « notre volonté est de permettre au plus grand nombre de goûter Yquem au moins une fois dans sa vie. Ce qui veut dire accéder à un verre d'Yquem (1) parce que l'on a confiance en son pouvoir de séduction. Evidemment, la meilleure façon de découvrir Yquem est en accord avec un joli plat, mais aussi avec un joli moment, une terrasse, un coucher de soleil, au coin du feu. Pour la gastronomie, il y a énormément à faire parce que c'est un vin qui existe depuis 400 ans et jusqu'à une soixantaine d'années personne ne pensait à associer ces vins avec les desserts. Ce sont des vins que l'on servait en début de repas, d'ailleurs c'est encore la tradition à Noël (avec le foie gras ndlr.). Ce n'est que dans les années 50-60 qu'une tendance anglo-saxonne les a faits passer en fin de repas à la place du champagne qui, lui, est devenu un vin de début de repas.

Notre travail est de casser cette étiquette de "Desert Wine" et en même temps celle qu'il faut les garder très longtemps en cave avant de les boire. Certes au bout de 20 ou 30 ans, ils gagnent en complexité, mais très jeunes, ils peuvent être très agréables et c'est encore plus simple de les servir en début de repas un peu frais. C'est à travers le service au verre, que ce soit en dehors du repas ou pendant avec des plats salés que l'on arrivera, non pas à démocratiser Yquem, mais tout simplement à recréer les conditions de la rencontre.»

Yquem 2005 & Pithiviers de pigeon au foie gras

Comme ce fut le cas au déjeuner, mis en accord par Pierre Vila Paleja sur des vins de la vinothèque, apportés par Pierre Lurton, président de Château d'Yquem. A commencer par le solaire 2022 sur un tartare de veau à l'anguille fumée et sarrasin torréfié. Le terre & mer délicat, mais très long en bouche sait canaliser l'exubérant jeune Yquem. Mention spéciale pour l'accord entre le pithiviers de pigeon au foie gras, plat signature de la maison et le 2005. A 20 ans, ce millésime est encore un adolescent, mais c'est justement sa fougue gourmande qui va venir jouer avec les chairs du pithiviers et son jus corsé. Avec le 1985, on entre dans l'âge adulte où l'on se recentre sur l'essentiel. Les arômes de la Tomme aux fleurs et plus encore encore plus du Stilton se suffisent à eux seuls pour encenser le vin, rendant le chutney à l'orange qui accompagnait les fromages superfu.

Vin de méditation

Je sortirais le 1945 du menu (servi sur une tarte aux pommes caramélisées, seule faute de goût de ce sublime moment, qui n'apportait rien au vin) car on est au-delà d'un vin à son apogée, de la lumière bue. Les notes sont sourdes et profondes, presque souterraines, comme une basse continue où viendraient tinter en contrepoint des notes de tête, aériennes comme une réminiscence. « Un vin de méditation comme on dit en Italie», rappelle Lorenzo. Un vin qui se suffit à lui-même, presque un spiritueux puisqu'il s'agit ici d'esprit plus que de vin que seule la volute d'un Havane pourrait venir accompagner (2).

Yquem n'est pas seulement l'art d'assembler, mais aussi de créer des liens avec des instants de vie afin de les rendre inoubliables. C'est une promesse qui se réalise.

(1) Le Petit Sommelier est un des trois établissements français du programme Lighthouse, avec Plénitude et Le Tout Paris, sur la quarantaine de partenaires du château dans le monde, à servir Yquem au verre.

(2) Yquem ou quand le sucre devient funambule lire ici

La pouriture noble / Photo DR

https://yquem.fr/