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  • Texte & photographies Jean Dusausoy

Quand le Frioul rencontre la Vénétie / Il Bacaro / Paris 11

Il y a des adresses que l’on aimerait garder jalousement pour soi, de risque de les voir un jour figurer dans un guide qui finirait immanquablement par les dénaturer. Dans mon cas, en raison peut-être de lointaines racines valdésiennes (1), elles sont souvent italiennes, comme Nebbiolo, l’ancienne cave à manger piémontaise de Federico Galeazzo ou Retro Bottega (L’Arrière boutique) où Pietro Russano nous fait découvrir sa cuisine familiale de ses Pouilles natales sur une carte de vins dits nature (mais pas déviants) de toute la Botte. Et après la séance d’accords à laquelle Ilaria Brunetti (2) m’a convié, je sens qu’Il Bacaro risque bien de devenir l’une de celles-là.

A l’opposé des « concepts Mama » qui ont déferlé sur la capitale où l’Italy fake est roi et devant lesquels les parisiens adore encore faire la queue, la frioulane Eleonora Zuliani, architecte et néo-cuisinière passée par l’école Ferrandi et les cuisines de Fabrizio Ferrara (époque Caffé dei Cioppi), Simone Boscolo (Il Goto), Massimiliano Alajmo (Caffé Stern), ouvre sa table en août 2015 dans une petite rue calme du onzième. Une table confidentielle, nommée Il Bacaro en référence à ces petites caves à manger vénitienne où sont servis des cicchetti (sortes de pintxos vénitiens) pour accompagner les vins et comme un clin d'oeil à ses années estudiantines à Venise où elle fit ses études d'architecture.

C’est justement par un assortiment de cicchetti que nous commençons cette séance d’accord sur trois cuvées choisies par son mari, Frédéric Besson : un Friulano « San Pietro » (2015) I Clivi (Colli Orientali del Friuli DOC) en blanc, un Vitovska (2012) Zidarich (I.G.P Venezia Giulia), en blanc de macération, dit aussi vin orange et un Resfosco (2015) Paladin (Lison Pramaggiore DOC) en rouge. Trois vins de la région Frioul-Vénétie Julienne dont est originaire la chef pour une rencontre à table avec des mets vénitiens.

Le friulano, principal cépage blanc autochtone du Frioul, frais et vif au palais est parfait pour aiguillonner l’uova tonnate (œuf à la sauce thonnée à l’estragon) ainsi que les sarde in saôr (sardines avec oignons confits, raisins secs et pignons). « Ici, les sardines sont marinées plutôt que frites traditionnellement, précise Eleonora, afin de donner plus de légèreté. » Le resfoco et ses variantes, (ici refosco dal peduncolo rosso), principal cépage rouge du Frioul, fruité et léger, accompagne de ses tannins fins la baccalà mantecato (morue montée à l'huile) dans une tension intéressante.

Mais, la découverte de ce trio est le vitovska du domaine Zidarich. Vinifié en macération pelliculaire, ce cépage que l'on retrouve également en Slovénie, offre une grande palette aromatique et une longueur en bouche qui lui permet de s'accorder avec un grand nombres de mets, comme dans l’assortiment de cicchetti, les crostini di peverada (tartines de foie de volaille, saucisson vénitien, câpres, anchois, citron et poivre).

D’une manière générale, les vins oranges, alliant la tension d’un blanc à la structure d’un rouge, se conjuguent facilement aux saveurs multiples et complexes, comme celles que l’on retrouve dans la cuisine d'Eleonora Zuliani. Une cuisine de marché (et de saison !) qui revisite ses racines friouli-vénitiennes de quelques savoureuses touches iconoclastes, à l'exemple de ce risotto au noir, typique de la Vénétie. « J'utilise le riz vialone nano qui vient du Nord Est d'Italie (Vérone), nous dit Eleonora. L'encre de seiche (naturelle dans ce cas, pas en pot) est rajoutée au moment de la "mantecatura", hors du feu, quand on "graisse" le risotto avec du beurre, un filet d'huile extra vierge et du parmesan. Au dressage, j'ai posé sur le risotto : anguille fumée, lamelle de courgette trombetta (en forme de trompe) d'Albenga (Ligurie), et des zestes de citrons verdelli de Sicile. »

Cela se passe comme ça chez Il Bacaro, mais chut, ne le dites à personne !

(1) Protestants s'étant réfugiés dans les vallées vaudoises du Piémont suite aux dragonnades qui ont suivies la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV.

(2) Mathématicienne & chroniqueuse gastronomique pour Identità Golose

9 rue Auguste Laurent

75011 Paris

01 43 79 16 66

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