Cela commence comme un impromptu. Une amie me sachant à Bilbao pour quelques jours me propose de l’accompagner à un popup que fait un jeune chef dans un txoko, une des nombreuses sociétés gastronomiques basques que contient cette ville amoureuse des bonnes choses.
Quand nous arrivons au Txoko Julai Alai (jeu de mot intraduisible autour de la Pelote basque, Jai Alai), qui occupe tout le rez-de-chaussée d’un immeuble dans le quartier de Deusto, seul le chef, Enaitz Landaburu, est là au milieu des livraisons qui viennent d’arriver. Bonite du nord et merlu entiers ainsi que anchois, sardines, de nombreux légumes et herbes parmi lesquels Enaitz est particulièrement fier des dernières Lagrimas de costa de la saison (petits pois de Getxo récoltés prématurément à l’aube avant que le soleil ne transforme le sucre en amidon). Un « caviar végétal » que le chef nous servira en amuse bouche sur une huile d’olive légèrement pimentée de la Rioja (1)...
Pour le moment, Enaitz, expose le menu à trois « socios » du txoko venus spontanément former une brigade pour la soirée, Ernesto, Xavier et Jon (dont La Taberna de la Plaza Nueva est l’un des meilleurs bars à pintxos (tapas basques) de Bilbao), sous l’œil du photographe italien, Gabriele Stabile pour la revue Cook Inc qui lui consacre un portrait. Car Enaitz Landaburu, est un chef inventif et instinctif qui fut responsable jusqu’en 2013 du département de créativité du restaurant étoilé Nerua (situé dans le bâtiment du musée Guggeheim) aux côtés du chef Josean Alija. Et c’est cette même créativité qui est palpable, ce soir, dans l’air de la cuisine de ce txoko.
Pas de savantes préparations aux saveurs complexes ici, mais des produits choisis et des associations qui décalent juste « ce qu’il faut » la tradition dans des trilogies de goûts : lagrimas/huile d’olive/herbes ; anchois/basilic/pimentón ; sardine/joue de porc/lagrimas ; merlu/butternut/cresson ; bonite/câpres/huile d’olive… jusqu’au dessert avec des churros de pain grillé & un étonnant chocolate : cacao/miel/huile d’olive. L’huile d’olive, une vraie passion pour Enaitz, pour qui elle est bien plus qu’un assaisonnement, mais un ingrédient à part entière et pour laquelle, il est capable de parcourir toute la péninsule afin d’en découvrir de nouvelles.
Mais tout comme il aime faire matcher les saveurs dans sa cuisine, Enaitz aime faire se rencontrer les gens. C’est un homme de passage. Aussi, il a demandé au vigneron Alfredo Eiga de la bodega Bizkaibarne, d’accompagner ce menu de ses Txakolis de Biscaye : Otxanduri, Mendiolagan, Ardi Beltz et Egia Enea. Le Txakoli, autrefois considéré comme un simple vin de soif, mais qui depuis l’obtention de l’appellation (en 1994 pour celui de Biscaye), a su prendre ses lettres de noblesse. Elaboré principalement à base de Hondarrabi Zuri (corbu), de Hondarrabi Zuri Zerratia (petit corbu), de Izkiriota (gros manseng) et de zkiriota Ttippia (petit manseng), cépages blancs provenant du sud ouest de la France que l’on retrouve encore de manière confidentielle dans les appellations Irouléguy et Pacherenc de Vic Bilh sec, le Txakoli, frais, floral et avec une légère acidité respecte la cuisine de Enaitz où les ingrédients sont peu cuisinés afin de mieux ressentir les associations.
Mais quand le Txakoli prend de l’ampleur comme dans cet Egia Enea (100% Hondarrabi Zuri Zerratia/petit corbu) récolté en légère surmaturité avec une macération partielle selon les années, le vin donne alors une basse continue à la cuisine d’Enaitz qui peut s’y développer telle une variation de Bach interprété par Glen Gould.
Pas d’adresse fixe pour l’instant pour déguster cette mélodie, mais un pop-up parisien à l’automne se profile... Nous vous en reparlerons.
(1) Isul sera en vente dès septembre chez Agrology