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  • Texte & photographies Jean Dusaussoy

Wine Road in Thrace / Turquie


Quatre ans après que douze domaines indépendants de Thrace (1) se soient regroupés pour créer la première route des vins, partant de la région Kirklareli à celle de Galipoli en passant par celle de Tekirdağ mettant ainsi en valeur des sites touristiques comme la Mosquée Selemiye à Edirne ou le parc naturel Igneada Longoz et que le gouvernement islamiste, de moins en moins modéré, ait fait voté la loi la plus liberticide sur l’alcool depuis l’avènement de la république en 1923 (2), le président Erdogan — le même qui, en 2003, alors premier ministre, avait ouvert le monopole d'état de la production viticole favorisant ainsi l’émergence de plus de 140 producteurs indépendants — ayant même proposé de détrôner le raki, alcool anisé que Mustafa Kemal Atatürk avait intronisé boisson nationale, pour le remplacer par l’aryan, sorte de yaourt fermenté, nous sommes retournés en Thrace faire un tout petit bout de la route (en plein travaux du côté de Kirklareli), rebaptisée entre temps Route de la vigne en raison de la dite-loi.

Si les vignobles de Thrace sont jeunes, puisque datant en général d’une quinzaine d’années, les terres qui les portent ont un lien ancestral avec la viticulture car nous nous trouvons pourtant dans un des berceaux de la viticulture. Dionysos, lui même, a grandi au Mont Nysa, dont une des localisation serait au dessus de la grotte de Dupnyza (dans la région de Kirklareli), et c’est là qu’il aurait inventé le vin selon le mythe. Dans un passé moins lointain, lors que la crise du phylloxera, environ 900 000 hl/an ont été envoyés en France à partir de la seule région de Kirklareli (en comparaison, la production totale des vins turcs aujourd’hui est autour de 600 000 hl/an). Ensuite, les vignobles en Thrace ont été successivement ravagés d’abord par les guerres balkaniques à la fin du XIXème siècle, puis par la première guerre mondiale au début du XXème.

« Un cépage comme le Cabernet Sauvignon était déjà présent dans l’Empire ottoman importé par des expatriés Français, mais durant cette crise (cf. celle du phylloxera), de nombreux vignobles ont été greffés avec des cépages internationaux. Certains vignerons français sont même venus s’occuper des vignobles pour produire les vins sur place » rappelle Zeynep Arca Şallıel, propriétaire du domaine Arcadia (3), à Kırklareli, qui propose aujourd'hui, avec son Bakucha Vinyard Hotel le plus ambitieux projet oenotouristique de Turquie (plan du domaine ci-dessus).

Il faut imaginer que nous sommes dans la grande plaine de Thrace qui commence en Grèce, au nord-ouest. Au nord, les monts Istranger et la frontière bulgare et la l'est, la mer Noire.

Bakucha est un mot valise formé de Bacchus + kucha, qui signifie à la grande maison en Serbe, soit la Demeure de Bacchus.

3 millions $ d'investissement, 26 chambres, un restaurant, un spa proposant trois types de massages et une ribambelle de soins un avec un vrai hammam et un sauna, un piscine et même une truffière... Un oasis construit autour des vins du domaine. Un vrai şaraplaisir où il fait bon s'attarder jusqu'au crépuscule. Şarap, c'est le nom — aujourd'hui presque interdit d'espace public (sauf en restauration) — pour dire vin en Turc.

Conseillée par Alain Carbonneau (ancien professeur à SupAgro à Montpellier), la vigneronne a recréé avec son père, il y a bientôt une quinzaine d’année, un vignoble de toute pièce dans une région où seuls les Alevis (4) avaient continué la culture de la vigne pour leur culte. Sa gamme de vin est aujourd’hui construite sur des cépages internationaux, même si elle a introduit le Narince pour sa cuvée Odrysian et l'Öküzgözü dans son Roze d'assemblage et fait des essais prometteur le Papakarasi (qui a un petit côté Pineau d'Aunis avec sa finale poivrée). Elle regrette que les cépages locaux (principalement Narince, Emir, Sultanie, Bornova Misket pour le blanc et Bogazkere, Kalecik Karasi, Öküzgözü pour le rouge) « n’aient pas fait l’objet de sélection massale et clonale pour obtenir des cépages stables. »

A noter tout particulièrement trois vins qui se distinguent. Dans sa gamme Finesse, l’assemblage Sauvignon Blanc (95%) Narince (5%) en 2015 et le Gri (2015), assemblage inédit de Sauvignon gris (80%) et Pinot gris (20%) ainsi qu’un 100% Cabernet franc (2012), dans la gamme A.

Après une soirée finie au coin de brasero aux beaux jours et de la cheminée dès les premiers froids, difficile de s'arracher à la douceur d'Arcadia, même après un copieux petit déjeuner à la turque pour reprendre la route.

Plus au sud, au bord de la mer de Marmara dans la région de Tekirdağ (magnifique petit port de pêche dont le non signifie « le rocher du rouget »), se trouve le domaine de Can Topsakal, conduit en agriculture biologique. Nommé Barbare Wines, en hommage au corsaire au service de l’empire Ottoman, Barbaros Hızır Hayreddin, plus connu sous le nom de Barberousse, qui aurait mouillé l’ancre jadis dans le petit port situé en contrebas du domaine. Cette image du corsaire, dont un portrait stylisé orne toutes les bouteilles, correspond bien à cet homme qui aime relever les défis. Il a déjà remporté le premier en créant, avec un autre œnologue conseil français, Xavier Vignon, un des premiers domaines biologiques de Turquie sur des terres où il n’y a pas longtemps encore poussaient en alternance blé et tournesol. Le second qu’il s’est fixé est de vendre directement la moitié de sa production au domaine. Pour ce faire, cet entrepreneur n’hésite pas à organiser chaque week end des déjeuners-visites-dégustations. Ce dimanche, un groupe d’une trentaine de personnes du club du vin d’Istanbul arrive en bus pour déjeuner sur la terrasse qui surplombe les vignes en face de l’île de Marmara.

Pour l’autre partie, il compte, moins sur de potentielles exportations, que sur la vente en CHR. Plusieurs de ses vins de ses gammes Elégance, Prestige ou Premier sont déjà référencés dans les meilleures tables d’Istanbul et son assemblage Syrah, Grenache, Mourvèdre (2014) très gourmand est en vente au verre chez Lucca, situé sur les rives du Bosphore, sûrement un des bars-restaurants les plus festifs d’Istanbul.

Car on trouve de nombreux bars à vins dans les rues de l’ancienne capitale ottomane tout particulièrement autour de la place Taksim et des quartiers qui l’entourent, Beyouglu, Cianghir, Top Hane, Nişantaşi, Beşiktaş. Là est le poumon d’Istanbul, même si son coeur historique (donc touristique) et religieux se situe de l’autre côté de la Corne d’or, à Sultanahmet, avec ses monuments incontournables tels Sainte Sophie, la Basilique citerne, le palais de Topkapi, la Mosquée Bleue et celle de Süleyman le magnifique avec ses quatre minarets, le bazar et le marché aux épices…

Pour bien sentir comment respire cette ville, il faut prendre de la hauteur et monter sur un des nombreux toits-terrasses d’un des hôtels, restaurants autour de la place Taksim. Une fois en haut, une vue magnétique s’offre à vous de jour comme de nuit : la croisée de la Corne d’or, du Bosphore et de la mer de Marmara, réalité augmentée par la valeur symbolique d’être précisément à la jonction de deux continents, à l’endroit où l’Orient et l’Occident se tendent réciproquement un miroir. Bien qu’intemporelle, cette vision n’a plus grand chose à voir aujourd’hui avec le regard orientaliste de Flaubert, Nerval ou Loti en leur temps (5), mais se pose dans la modernité d’un double regard, tel que le fait Orhan Pamuk (6) dans son œuvre qui interroge inlassablement Istanbul.

Dans son roman, Le Musée de l’innocence, Kémal, riche héritier à l’esprit souvent embrumé par les vapeurs de raki, après avoir perdu l’être cher, lui construit un musée afin de célébrer cet amour interdit. Démarche que Pamuk poursuit dans la réalité puisqu’il a donné naissance à ce musée en avril 2012 près de Cianghir, à deux pas de chez lui, créant ainsi le premier musée basé sur l’imaginaire et offrant une mise en abyme à son roman. Sommes-nous dans la réalité où encore dans la fiction ?

Il faut se promener dans les rues de Cianghir et au besoin s’y perdre pour comprendre combien cette Istanbul a longtemps rêvé d’Europe, tout en restant orientale, pour entrainer derrière elle tout le reste d’une Turquie où 85% de la population est abstème, mais où 72% de l’alcool est consommé dans la région de Marmara (dont fait partie Istanbul et la Thrace). Si l’Europe est le « petit cap de l’Asie » (7), Istanbul est bien plus que le petit cap de L’Europe.

Finalement grâce à cette loi anti alcool et les années qui passent, les vins de Thrace ont pris de délicieux arômes tertiaires transgressifs et déguster est devenu un acte de résistance. Il faut venir en Thrace goûter à ce plaisir interdit... Şerefe (8) !

(1) Les domaine de La Route de la vigne :

Au nord-ouest avec les domaines Arcadia, Chamlicaet Vino Dessera

Au centre avec les domaines Barbare wines, Barel, Château Kalpak, Château Nuzun, Gulor, Melen, Umurbey

Au sud avec les domaines Gali et Suvla

(2) Loi du 24 mai 2013 interdisant la vente de boissons alcoolisées (hors restauration) entre 22h et 6h du matin, la consommation à moins de 100 m d’une école ou d’un lieu de culte et enfin toute promotion dans l’espace public.

(3) Branche libérale de l’Islam.

(4) D'après Arcadia dans la mythologie grecque ainsi que Arcadiapolis, le nom de Luleburgaz durant de L'empire du Rome de l'est en l'honneur de l'empereur Arcadius.

(5) Dans cette Europe du XIXème siècle, fascinée par l’orient, Istanbul était un passage quasi obligé pour les artistes. Loti est sûrement l’auteur qui a été le plus marqué par cette ville pour y avoir aimé. Il a consacré deux romans à cet amour, Aziyadé et Fantôme d’amour.

(6) Prix Nobel de littérature en 2006

(7) Selon l’expression déformée de Paul Valéry : « L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ? » (Variété 1 -1924)

(8) Santé !

Escapade pratique

Y ALLER

Plusieurs vols au départ de Paris, Lyon ou Marseille avec Turkish Airlines ou Air France ainsi que de plusieurs compagnies low-cost à partir d’une centaine d’Euros.

Sur place, éviter les taxis en journée, non en raison de leur prix (raisonnable), mais à cause des embouteillages monstres.

OU DORMIR

Bakucha Vineyard Hotel & Spa : Boutique hôtel avec restaurant oenotouristique.

Lüleburgaz/Kırklareli - tel : +90 288 473 44 17

Tomtom suites : Ancien hôpital des sœurs franciscaines datant de 1850, situé dans le quartier de Galata, il a été rénové au début des années 2000 pour créer de belles chambres et suites de grand confort. De 140 à 800 € pour la Luxury suite de 80 m2 et 120m2 de terrasse avec vue sur la mer de Marmara et le Palais de Topkapi.

Boğazkesen Caddesi. Tomtom Kaptan Sokak no.18 Beyoğlu, 34413 Istanbul - tel : +90 212 292 49 49

Büyük Londra Hotel : Cet hôtel historique au charme ancien, situé à deux pas de la Corne d’Or, ravira les cinéphiles. Y a été tourné « De l’autre côté de Fatih Akin » (Prix du scénario en 2007 à Cannes). Il offre toutes sortes de chambres de conforts très différents de 50 à 180€ pour l’Orient Express room.

Mesrutiyet Caddesi. No: 53 34430 Beyoglu Istanbul : + (90) 212 245 06 70

Poem Hotel : Hotel de style ottoman situé a deux pas de la Mosquée Bleue offrant une belle vue sur la mer de Marmara. A partir de 117€ la nuit.

Akbıyık Caddesi, Terbıyık Sokak No:12 Sultanahmet 34400 İstanbul : +90 212 638 97 44

Hotel Niles : Situé à deux pas du grand bazar, cet hôtel familial offre chambres et suites à des prix raisonnables. De 70 à 150€ pour La Maisonnette (suite en duplex).

Ordu Caddesi Dibekli Cami Sokak No: 19, Beyazit, Istanbul, 34130 : +90 212 517 32 39

OU MANGER ET PRENDRE UN VERRE

Güverte Balik Restaurant : Restaurant de poissons situé sur le port juste derrière le marché aux poissons où il s’approvisionne. Fraîcheur garantie.

Liman İçi, Sahil n° 49 - 59000 Tekirdağ - tel : +90 282 262 3058

Frankie Restaurant : Situé dans le quartier très chic de Nişantaşi et très chic lui-même, il offre une cuisine traditionnelle revisitée et une magnifique terrasse-fumoir donnant sur le Bosphore.

Tesvikiye Caddesi 41-41/A K.8 34367, Nişantaşi - Istanbul - tel : +90 212 230 66 66

Mikla Restaurant : Sans aucun doute la cuisine la plus inventive d’Istanbul avec le chef Memet Gürs qui travaille avec un anthropologue parcourant toute l’Anatolie pour lui ramener les centaines d’ingrédients à partir desquels il construit sa cuisine. Situé au dernier étage de l’hôtel Marmara Pera, il offre une vue imprenable sur la Corne d’Or et le Bosphore.

The Marmara Pera -Meşrutiyet Caddesi 15 - 34430, Beyoğlu, İstanbul - tel : +90 212 293 56 56

Neolokal : Resturant gastronomique situé dans l'ancienne banque ottomane. Le chef Maksut Askar plonge dans ses souvenir d'enfance et les traditions culinaires ottomanes pour mieux s’en affranchir. Il pousse son souci du détail jusqu’à faire un storytelling de chaque mets qu’il présente dans un petit mémo à lire avant de déguster.

Arap Cami Mahallesi, Bankalar Cd. No:11, 34420 Beyoğlu/İstanbul - tel : +90 212 244 00 16

Çiya Kebap : Situé dans le quartier de Kadiköy sur la rive asiatique, il offre plusieurs dizaines de variantes de ce met et pourrait bien être le meilleur kebab d’Istanbul.

Caferaga Mah. Güneslibahce Sk. 48/B Kadiköy – Istanbul - Tel: +90 216 336 30 13

5.Kat : Café-bar-restaurant en toit terrasse à deux pas de la place Taksim. Parfait pour prendre un verre en contemplant la croisée du Bosphore et de la Corne d’Or.

Soğancı Sk No:7, Cihangir – Istanbul – tel :+90 212 293 3774

Lucca : Situé à deux pas du Bosphore ce lounge et bar bistronomique offre une ambiance aussi endiablée ses cocktails. Parfait pour un after.

Cevdetpaşa Caddesi No:51 B - Bebek, İstanbul - tel :+90 212 257 12 55

Capricorn : L'ancien Zuma, ce bar et restaurant offre une ample carte de cocktails à déguster au bord du Bosphore.

Salhane Sokak No:7 Ortaköy, 34347 Beşiktaş/İstanbul - tel : +90 212 259 41 00

Rouge : Bar à vin, situé à deux pas de la place Taksim. Il offre un grand choix de vins au verre. Idéal pour découvrir les cépages locaux.

Lamartin Cad. No.11 D 2 | Taksim, Istanbul - tel :+90 212 237 01 90.

Sensus : Bar à vin et fromagerie situé dans la cave de l’hôtel Anemon Galata. Agréable pour son ambiance troglodite.

Bereketzade Mah. Büyük Hendek Cad. N° 5 Beyoğlu, İstanbul - tel : +90 212 293 23 43

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