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  • Texte & photographies Jean Dusaussoy

Experience Cahors Malbec - Acte II / La Dramaturgie des accords selon Christophe Hay

Le but de L'Experience Cahors Malbec est de nous faire sentir le chemin par où le chef et son chef sommelier sont passés pour aboutir aux accords proposés car comme le dit le dicton espagnol, El camino va por dentro, le chemin est intérieur.

Au début, il y a les vins. 12 cuvées (1) envoyées par les vignerons à La Maison d'à côté et dégustées par le chef étoilé, Christophe Hay, et son chef sommelier, Sébastien Durance, assisté de Richard Morin. La première réaction fut la surprise face à l’évolution stylistique des vins de Cahors. Retours sur la dégustation : « Fini les Cahors où en en a plein la bouche » dit le chef avouant qu’il lui reste encore des Cahors des années 90 dans sa cave personnelle lui venant de son père. L’équipe de sommellerie, qui avait dégusté des vins de l’appellation plus récemment que le chef, est néanmoins surprise également : « Des vins plus digestes et faciles à boire, mais conservant de la longueur » selon leurs propres mots.

Suite à la dégustation, quatre cuvées sont retenues par leurs soins en raison de leurs qualités organoleptiques d’abord, mais également pour le potentiel d’accords avec la cuisine du chef travaillant sur les produits ligériens et notamment tous les poissons de Loire que lui fournit Sylvain Arnoult.

Le premier accord est l’anguille de Loire caramélisée, associée au chou-fleur en deux façons (lamelles et mousse) et assaisonnée de sésame noir et de vadouvan (mélange d’épices indiennes), sur la cuvée Extra libre (2015) du Château du Cèdre, que Pascal Verhaeghe (2) conduit en agriculture biologique avec son frère Jean-Marc. Un vin vinifié sans sulfite un brin réductif à l’ouverture, mais qui laisse, une fois aéré, s’exprimer toute la subtilité de son cépage, le Malbec. Un cépage épicé et incroyablement large lorsqu’il n’est pas trop extrait ni masqué par le bois neuf. On pourrait croire que le vin va dominer la chair subtilement caramélisée de l’anguille et balayer le chou-fleur, mais non, au contraire, le met va donner une verticalité au vin, grâce au pont aromatique que fait vadouvan entre le vin et le met… L’alchimie des accords est en marche !

Le second associe Petits gris de Cheverny et Esturgeon fumé à la cuvée Silice (2015) du Château les Croisille, un domaine en agriculture biologique de 30 hectares sur le plateau de Fages. « Un plateau calcaire où par endroit l’argile est rouge car siliceuse et ferreuse à la fois » précise Germain Croisille. Une originalité qui donne au vin toute sa belle acidité. Acidité que l’on retrouve dans le met dans le jus de capucine et qui, mêlé au fumé de l’esturgeon et à la mâche de l’escargot, crée un mariage insolite, mais solide (même le lamelles d’artichaut n’arrive pas à le déséquilibrer !), si bien qu’il pourrait bien faire, de la même façon que l’on parle d’un plat signature, un « accord signature. »

Le troisième accord met justement en scène un plat signature de la maison La Carpe de Loire « à la Chambord », met venant de la Renaissance revisité par le chef, et la cuvée parcellaire Les Peyres Levades (2014) du Château Combel La Serre, domaine sur les plateaux calcaires du causse encore en conversion bio en 2014 et certifié depuis 2016, conduit aujourd’hui par Julien Ilbert et son père, Jean-Pierre.

La carpe est travaillée en deux façons (émincé et quenelle) auxquelles viennent s’ajouter les écrevisses, le lard de Colonatta et la truffe, le tout accompagné d’une réduction de Cheverny. Le vin, ample et équilibré avec une belle acidité, fait écho à la sauce, heureusement servie sur le côté, si bien que l’on peut faire l’accord avec ou sans. Mais avec, c'est plus gourmand.

Le dernier accord salé marie une volaille, un suprême de Géline de Touraine farcie au foie gras, accompagnée de son ballotin d’abats, d’asperges vertes de Chambord, de morilles ainsi que d’un jus à la réglisse et l’un des vins de la Trilogie parcellaire du Clos Triguedina de Jean-Luc Baldès, Les Galets (2010), dépôts de sidérolithique, riches en silice et en fer, sur les troisièmes terrasses du Lot. Le lien entre le met et le vin se faisant grâce au jus de réglisse, pont aromatique avec ce Malbec, ici, puissant, mais évolué et dont les tannins sont fondus grâce au temps et un élevage maîtrisé.

Le dernier accord fut le plus compliqué à trouver, sucre et tannin faisant difficilement bon ménage, même sur le chocolat, souvent une fausse bonne idée. La chef pâtissière, Gwenaëlle Rayneau, après avoir fait divers essais, s’est arrêtée sur une de ses spécialités, le soufflé, mais au safran de Sologne. Une première pour l’occasion afin de répondre au côté épicé du Malbec qui n’est pas ici sous sa forme fermentée, mais distillée. Une eau de vie à base de marc de Malbec du Château du Cèdre, élaborée par Laurent Cazottes, qui n’en est pas à son premier puisqu'il est déjà l'auteur d'un marc de Mauzac rose ou de Prunelard. L’œuf et le safran du soufflé sont ici aiguillonnés par le marc aux arômes épicés et réglissés, qui fait l’effet d’un « trou cadurcien », bienvenu en cette fin de déjeuner, parachevant ainsi son architecture.

Difficile de savoir quel sera « l’Accord signature » que Christophe Hay portera à sa carte dans les prochaines semaines, tant ils étaient tous aboutis. D’ailleurs un tour de table des convives n’a pas permis de les départager une fois l’Experience Cahors Malbec terminée. Et c’est justement cela qu’il y a de plus remarquable. Non seulement, aucun moment de déséquilibre dans chacun des accords, mais aussi la sensation que chaque accord prépare le suivant, en l’amplifiant même comme une caisse de résonance gustative, et ce, jusqu’au climax du dessert.

Une dramaturgie des accords où Christophe Hay, épaulé par Sébastien Durance, excelle, comme en miroir à l’harmonieuse scénographie (3) de son piano ouvert sur la salle où toute sa brigade, trois heures durant à chaque service, opère dans un ballet aussi mystérieux que silencieux pour le plus grand plaisir des yeux et des papilles.

(1) Extra Libre (2015) et Château du Cèdre (2014) du Château du Cèdre, Au Cerisier (2014) et Les Peyres Levades (2014) du Château Combel la Serre, Silice (2015) et Calcaire (2014) du Château Les Croisille, Ultralocal El Cahors de Leo Brosi et Pascal Piéron (2104) Les Hautes Terres, Rossignol (2012) du Domaine du Prince, Château Chambert 2010 et La Trilogie (2010) du Clos Triguedina

(2) Actuel Président de L’Union Interprofessionnelle de Vins de Cahors

(3) Signée Caroline Tissier

La Maison d'à côté

17 Rue de Chambord - 41350 Montlivault

Tel : 02 54 20 62 30

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