©Filipe da Rocha
“Each material has its own message, and for creative artists, his own song.”
Frank Lloyd Wright
Les gestes contrôlés et les mots pesés d’un vieux sage, le regard brillant et amusé d’un enfant.
Avec sensibilité et précision, cet habile chef japonais construit une cuisine à la structure fractale, où se reproduit, à toutes les échelles, l’harmonie. Une harmonie gustative entre les saveurs et les textures qui composent chaque plat. Une harmonie visuelle entre les couleurs et les formes du plat et de l’assiette. Une harmonie mélodieuse entre les plats qui se suivent dans un crescendo de goûts. Une harmonie fluide entre les gestes d’Eiichi et ceux des cuisiniers qui officient le dîner avec lui. Une harmonie attentive entre la brigade de cuisine et les clients qui, assis au comptoir, les entourent.
Tous les soirs chez Guilo Guilo, son restaurant parisien, se déroule un cérémonial au protocole rigoureux, avec des horaires fixes à respecter et un menu discrètement imposé. Prendre part à un dîner d’Eiichi constitue une expérience intensément délicate et délicatement intense. Les principes qui gouvernent ce royaume du goût et de la forme sont ceux du dîner kaiseki, l’expression la plus raffinée de la tradition culinaire impériale de Kyoto. Un art millénaire complexe, élaboré pour réjouir le palais aussi bien que les yeux, à travers une succession de plats raffinés d’intensité croissante. Dans chaque plat se fusionnent différents éléments qui doivent être en parfait équilibre entre eux, autant au niveau des saveurs et textures qu’esthétiquement. La vaisselle devient un élément fondamental de cette orchestra : chaque plat est servi dans une céramique différente, qui complète le message visuel de l’ensemble. Cette quête d’équilibre se poursuit aussi dans le choix des ingrédients, choix qui doit respecter la saisonnalité et le terroir.
Eiichi s’est installé à Paris il y a huit ans, pour s’enfuir de la notoriété fureteuse qui avait trop vite envahi son premier restaurant de Kyoto et qui empêchait ses clients de s’asseoir à sa table sans avoir réservé quelques mois à l’avance. Ici, sur les hauteurs de Montmartre, il étudie les recettes traditionnelles de Kyoto, il individualise les éléments qui constituent un plat amer, doux, croustillant, onctueux … Il les décompose et il les recompose en créant de nouvelles combinaisons qui expriment sa personnalité tout en suivant les règles du kaiseki. Il dessine lui-même ses bols et ses assiettes : pour chaque création culinaire, une création céramique qu’il fait produire à Kyoto.
La notoriété l’a vite rejoint à Paris et désormais il faut réserver quelques semaines à l’avance pour s’asseoir au comptoir de Guilo Guilo. Il a décidé de renouveler l’expérience à Kyoto et s’est ensuite étendu à Honolulu et Tokyo.
S’il n’est pas aux fourneaux ou sur un vol intercontinental pour aller d’un restaurant à l’autre, c’est à la musique qu’il se dédie : quand le rideau de Guilo Guilo ferme, il est possible de croiser Eiichi dans les meilleures boîtes parisiennes ou japonaises en train de mixer.
Tout a commencé il y a cinq ans grâce à un ami qui lui propose de mixer lors d’une grosse soirée à Kyoto : il n’a jamais touché un système de mixage avant, mais il accepte sans hésiter une seule seconde. Comme dans la cuisine, il prend les choses très au sérieux et, pour ne pas se faire prendre au dépourvu, il se prépare pour ses débuts avec Ko Kimura, DJ japonais réputé. La soirée est un succès, plus de cinq cents personnes dansent la musique d’Eiichi. Il se rend compte que le mixage n’est pas si loin du kaiseki et, depuis ce début en grand, il n’a plus arrêté. Avec le casque et sa casquette, son uniforme aux platines, il mixe à Kyoto et à Paris, aux Folies Pigalle, au Silencio, au Penish, pour Radio Nova en direct mais aussi à l’Opa. C’est ici, à l’Opa, qu’il a vécu l’expérience la plus marquante en tant que DJ, accompagné par une violoncelliste.
On pourrait croire que, pour le chef-DJ, la musique est un refuge pour se libérer des schémas rigides, un moyen à travers lequel s’exprimer plus librement. Mais il ne s’agit pas de ça : pour Eiichi passer des fourneaux à la platine signifie plutôt changer de point de vue. S’il se sert de la cuisine pour faire écouter à ses clients l’histoire de Kyoto à travers ses saveurs et l’interprétation personnelle qu’il en donne, quand il mixe, les rôles s’inversent, il passe de l’autre coté pour se mettre à l’écoute de son public, afin de comprendre son goût et lui offrir la musique qu’il a envie de danser. Quand il cuisine, il conduit les clients à la découverte de ce complexe univers de goûts, formes, textures ; quand il mixe, il se laisse transporter par la salle à travers les notes.
Eiichi, compositeur de saveurs et alchimiste de notes, à travers la musique et la cuisine, il recherche sans cesse les codes d’une harmonie qui dégage du plaisir, dans l’acte même de la création et dans son partage, plaisir à donner, plaisir à recevoir.
Guilo Guilo
8 Rue Garreau, 75018 Paris
Tel : 01 42 54 23 92