Les Quilles du Sud, ce n'est pas une marque, mais un groupement 5 vigneronnes, issues des Vinifilles, comme les 5 doigts de la main. avec comme point commun une identité occitane, mais sur des terroirs différents. Partir deux jours avec elles pour découvrir leur univers, c'est un peu partir en week end avec des copines, tout en dégustant une cinquantaine de cuvées. Au gré des accords vins & mets dégustés, arrêtons-nous sur quelques cuvées pour mieux parler des vigneronnes. Premier stop au Vigatane, le temple de la cuisine catalane d'Yves Henrich au Canet Village, dont la maxime est "Aqui el vi es un remei !" (Ici le vin est un remède !)
Commençons par Françoise Antech de la maison éponyme à Limoux. Celle qui a réussi à redonner ses lettres de noblesse au Mauzac et renouveler l'image de la blanquette, en lançant la gamme M Le Mauzac il y a deux ans lors de Wine Paris, est présente sur la table avec un crémant rosé Emotion brut 2019 (AOP Crémant de Limoux) sur des anchois frais à l'huile et son pan con tomate. Cet assemblage de chardonnay, chenin, mauzac et pinot noir, dosé à 8 grammes, à la bouche fraîche et gourmande, a suffisamment de tension pour pour aller titiller le gras de ce poisson bleu, emblème de la Catalogne, et d'ampleur pour contenir sa puissance finale, conjuguée à celle du pan con tomate (ail/tomate/huile d'olive).
Continuons avec Emmanuelle Schoch du Mas Seren, sis dans le Cévennes, six hectares conduit en agriculture biologique à 300 mètres d’altitude sur la commune de Monoblet et qui vient d'en acquérir autant autour de sa nouvelle cave à Massillargues-Attuech. Cette néo-vigneronne a créé ce domaine en 2009 sous le signe de l'étoile (Seren signifie étoile en Gallois) et le ciel étoilé des Cévennes, terre protestante et austère, dont les vins surprennent par leur pureté et verticalité. C'est vrai pour cette Etincelle blanc (2021), vermentino, mâtiné d'ugni blanc (IGP Cévennes), dont l'acidité vient aiguillonner le gras de la Cargolade — les cargols (escargots en Catalan) sont cuits dans leur coquille sur une grille au feu de bois avec sel & poivre ou saindoux et herbes — mais plus encore pour la cuvée Lilith 2012 (IGP Cévennes), assemblage à par égale de cinsault et grenache, par l'âge et la couleur. L'acidité sur les rouges est gage de longueur et permettent des accords là où on ne les attend pas, comme ce bar / jus d’arête torréfiée / chou vert / baie de genièvre / foie de lotte chez chef doublement étoilé et MOF, Franck Putelat, à Carcasonne.
Cela me renvoie à la distinction que fait Jean-Michel Deiss en Alsace entre l'austérité des vins "protestants" et la richesse des vins "catholiques". Avec Kathy Sisquielle du Château de Rey, au Canet en Rousillon, pas de doute, nous sommes de retour en terre catholique. Les vins qu'elle vinifie avec son mari, Philippe, y sont chaleureux, à l'image de ce Galets roulés 2019 en rouge (AOP Côtes du Roussillon), assemblage de carignan, syrah et grenache, élevé 12 mois en barrique de 400 litres. A la dégustation, la puissance du vin sur ce millésime jeune fait ressortir le boisé, mais en accord sur cette spécialité d'Ibiza, un arros cramat dal ciego (litteralement riz cramé de l'aveugle car il peut se mangé les yeux fermés), il trouve son équilibre. Sa puissance vient révéler celle du mets que l'on ne soupçonne pas si on l'associe plus classiquement à un blanc.
Sur cette même cuvée, mais en rosé (assemblage syrah et mourvèdre élevé 4 à 5 mois dans des fûts de 400 litres) et sur un millésime plus ancien, 2016, on retrouve l'ampleur de la trame, qui est la marque de cette cuvée dans les trois couleurs, mais assouplie par l'âge. Elle lui permet de trouver l'accord sur l'audacieuse interprétation de la bouillabaisse par Franck Putelat : Légère de foie gras de canard / bouillon de cranquette / rouille / pistil de safran. Un terre & mer subtil, qu'il ne ne faut ni écraser avec un vin trop lourd, ni en sous-estimer la complexité des saveurs. L'évolution de ce rosé de terroir permet cette quadrature du cercle.
Revenons maintenant en Languedoc avec Fanny Boyer au Château Beaubois, qui conduit avec son frère, François, 60 hectares de Costières de Nîmes en agriculture biologique où l'on retrouve les mêmes galets roulés qu'à Châteauneuf-du-pape ou à Lirac. Leur Idole 2012, issue de sélections parcellaires de syrah, grenache, mourvèdre, marselan et cinsault, et élevée 15 mois dans dans des fûts de 450 litres en chauffe douce, est un modèle d'équilibre entre puissance est finesse. Sa longueur fait merveille sur le veau et son jus corsé proposé par Frank Putelat.
Terminons avec Françoise Ollier qui exploite, en agriculture biologique avec son frère Luc, le Domaine Ollier-Taillefer en appellation Faugères. Des "grands vins de nature" qui ne doivent pas faire oublier la fine qui est à l'origine de l'appellation Faugères, en 1948 (1), première et seule eau-de-vie du Languedoc distillée avec un alambic charentais. Une fine qui n'a rien à envier aux grandes eaux-de-vie de vin de petite et grande champagne. De part ses arômes et ses rancios, elle est le compagnon idéal des desserts. Une des dernières bouteilles de l'édition 2008, distillée par Martial Berthaud (L'Atelier du Bouilleur), ce soir là à la table de Franck Putelat, sur le chocolat bien sûr, mais plus encore sur la tarte fondante aux pralines qui sut parler au côté pâtissier de la fine.
(1) Il faudra attendre 1982 pour les rouge et rosé et 2005 pour le blanc.
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