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  • Texte & photographies Jean Dusaussoy

On the rail with Thello (Paris-Milano-Venezia) - 3 Days in Veneto

Pas de besoin d'être atteint de flygskam (cette honte de prendre l'avion développée par les Suédois en pensant à leur bilan carbone) pour préférer le train. Il suffit d'être phobique de l'avion (j'en connais quelques un(e)s) ou tout simplement préférer le trajet le plus long pour un voyage international. Là, les trains de nuits obtiennent la palme puisqu'ils qu'ils prennent le temps de musarder pendant que l'on dort... C'est aussi une façon de réintégrer le temps du trajet dans le voyage lui-même au lieu de le considérer comme une simple parenthèse puisque le voyage commence dès que l'on referme la porte de chez soi.

De ce point de vue, Thello est la meilleure façon de voyager entre Paris et Venise avec près de 15 heures de trajet sans compter des retards toujours possibles, trois heures à l'aller et seulement une et au retour, dus en partie aux contrôles douaniers (1). Mais on ne compte pas quand on aime, surtout lorsque le retard vous permet de vous réveiller en longeant la rive du Lac Majeur d'ordinaire encore dans l'obscurité de la la nuit et que l'on a la chance d'avoir une cabine pour soi (2). Si l'on rajoute le sifflet du train dans la nuit et son roulis, nous voilà repartis dans le Cévenol qui traversait la France, de Paris à Marseille, de jour comme de nuit, dans les années 80 !

Mais avant de repartir en enfance pour la nuit et de traverser la Suisse, le train fait un stop à Dijon, premier et seul arrêt en France, où les voyageurs auront eu le temps prendre mâchon au Grand Hôtel de la Cloche avant d'embarquer, comme cette soupe à l'oignon, revisitée par le chef Aurélien Mauny, avec sa tartine de Comté avec un verre de Saint-Aubin 1er cru, En Remilly de la maison Ameyric Mazilly (photo ci-dessous). Quand le gras du chardonnay rencontre la sucrosité de l'oignon confit, il en résulte de gourmandes épousailles...

Quel dommage que l'on ne puisse prolonger les agapes au wagon restaurant ! il n'a plus de vraie cuisine et l'on n'y sert que des plats surgelés... Il faudra attendre Vincenza, chez Il Ceppo, pour manger una Baccalà alla vincentina, accompagnée de sa polenta frite comme il se doit (photo ci-dessous).

Une fois dissipées les brumes matinales de la vallée du Pô, une mélodie me revient en mémoire en entrant gare de Milan Lambrate tout en sirotant un cappuccino mousseux à souhait (car fait sur place) au wagon restaurant : " Un gelato al limone, gelato al limone, gelato al limone / Sprofondati in fondo a una città " (Une glace au citron, glace au citron, glace au citron / Enfouie au fin fond d’une ville) chantait Paolo Conte au teatro Smeraldo (3).

Si l'Italie est le pays des glaces — le célèbre guide Grambero Rosso consacre une édition dédiée aux Gelaterie, classées de 1 à 3 cônes, avec plus de 300 adresses pour l'édition 2019 — Milan avec ses 23 adresses répertoriées en est sans doute la capitale . Car Ici, le meilleur glacier se détermine en fonction du parfum que l'on veut. S'il fallait n'en citer qu'une, ce serait la gelateria Paganelli, institution depuis 1930, située non loin de la gare centrale et auréolée de 3 cônes, reconnue particulièrement pour ses parfums salés comme à l'huile d'olive, au basilic ou un sorbet au vin, un Lagrein du Sud Tyrol, mais où il ne manque jamais l'arôme du citron. Un gelato al limon, enfoui au fond de la ville...

Mais quittons la Lombardie pour arriver en Vénétie où, après avoir laissé Véronne à ses amants, nous arrivons à Vincenza, véritable musée à ciel ouvert grâce l'architecte de la renaissance Andrea Palladio dont l'oeuvre a profondément transformé la ville, avec notamment en son coeur la basilique palladienne (photo ci-dessous). Juste en face et à côté de la Loggia del Capitaniato, se trouvent les deux établissements du chef étoilé Lorenzo Cogo.

Au rez-de-chaussé, Le Garibaldi, où le chef propose une cuisine bistronomique comme ces ravioles aux herbes sauvages, amandes, fleur de fenouil et tequila sur un garganega en macération pelliculaire d'Angiolino Maule (Sassaia 2018). On retrouve dans le vin de côté herbacé du mets auquel vient s'ajouter celui gourmand de l'amande toastée. C'est gras, c'est ample avec une longueur exceptionnelle en bouche. Une belle noce bucolique...

A l'étage, le restaurant gastronomique étoilé, El Coq. L'ambiance est aussi solaire en bas qu'elle est feutrée en haut avec ces paravents de fenêtre qui s'ouvrent, le soir venu, sur la basilique illuminée et une cuisine toute en clairs obscurs. Pour preuve, cette Baccalà alla vincentina en risotto avec une réduction de grenade sur une sangria ou le Globe-trotter (king crabe / sauce chili / Gaspacho d'amande / olive et câpre) sur le Garganuda (2018) de Giovanni Menti, une autre expression du garganega.

Une cuisine internationale, héritage de son parcours commencé à Melbourne (Vue du Monde), puis passé par Londres (The Fat Duck), Tokyo (Nihon Ryori Ryugin) et enfin chez Asador Etxebarri au Pays basque espagnol, mais ancrée dans territoire la Vénétie, qui vaut à Lorenzo Cogo d'être le plus jeune chef étoilé d'Italie.

Direction la lagune de Venise maintenant en remontant ses méandres jusqu'à Mazzorbo. Là, sur l'île submergée l'Acqua Alta de novembre 1966 et où toute culture de la vigne avait disparu, Gianluca Bisol, ayant retrouvé, en 2001, dans le jardin d'une antiquaire sur une île voisine 4 pieds de Dorona veneziana — ce cépage qui aurait accompagné, dit-on, les amours vénitiennes de Casanova — puis 80 en étendant ses recherches à toutes les îles de la lagune, les a multipliés par sélection massale, pour commencer à en replanter à partir de 2006 jusqu'à 4000 pieds sur moins d'un hectare et faire un premier millésime de Venissa en 2010.

Venissa est un vin rare à bien des titres. Déjà par son cépage unique, mais également par sa situation dans un ancien monastère dont il reste plus que le clocher de la chapelle et le mur d'enceinte qui lui aurait sûrement valu le nom de clos s'il était en France. Mais un clos ouvert aux promeneurs car si Venissa est une entreprise privée, le terrain appartient à la municipalité de Venise et doit rester accessible à tous. C'est aussi un lieu de promenade et de plaisirs puisque le domaine offre deux tables dont une étoilée ainsi que cinq chambres.

Enfin rare par sa bouteille, conçue par le verrier Giovanni Moretti sur l'île de Murano et recouverte d'une feuille d'or dont la découpe change à chaque millésime, autant que par son contenu. La dorona veneziana, uva d’oro, prend cette teinte orangée grâce une macération pelliculaire d'un mois minimum, comme on le ferait pour un vin rouge, puis une fois pressé vieilli 2 ans en cuve puis deux autres années en bouteille. C'est la raison pour laquelle le millésime qui vient d'être mis à la vente est le 2015. Un nez discret sur les fleur blanche, mais c'est une en bouche qu'il prend toute sa dimension de part sa longueur et sa salinité, comme le confirme les millésimes plus anciens, tous avec des tonalités différentes, comme pour le 2011 avec ses notes enivrantes d'immortelles...

Mais Venissa n'est pas le seul domaine où Gianluca Bisol est impliqué. Producteur de Prosecco supérieur — La Cantina Bisol produit du vin depuis 5 siècles — il est associé dans plusieurs domaines dont celui d'Elisa Dilanvanzo, Maeli, à Baone près de Padoue, qui a pour caractéristique d'avoir un seul cépage, le muscat jaune, qu'elle décline en 5 cuvées plus une grappa comme nous allions le découvrir tout au long du déjeuner à l'Osteria Contemporanea. Une carte signée Luca Cesaro avec une cuisine bistonomique et non gastronomique comme pour l'étoilé, Venissa - Il Ristorante (photo ci-dessous) avec les chefs Francesco Brutto et Chiara Pavan.

Tempura de sardines et son pickle de framboise & Dilà 2016 (pur muscat jaune), méthode traditionnelle avec 36 mois sur latte, Maccheroncini de noisette, speck et crevette tigre & Dilì 2017 (pur muscat jaune), pétillant natural sur lies, Silure crème de pomme de terre citronnée et chicorée & Bianco Infinito 2014 (70% muscat jaune 30% chardonnay), vin tranquille... Une cuisine basée d'abord sur les ingrédients qu'illustrent parfaitement les maccheroncini (photo ci-dessous). La chair crue des crevettes, mélangée au fumé du speck, à la saveur noisettée des pâtes et au jus veau qui fait le liant est d'une sauvagerie ensorcelante, sublimée par l'accord sur le muscat jaune dont la macération pellicullaire et l'effervescence mettent en émoi.

Il faut, à regret, de quitter Mazzorbo et trouver refuge sur la micro terrasse de l'hôtel Canal Grande afin d'échapper à la cohue touristique et observer l'incessant ballet des embarcations de tout genre sur la Grand Canal, le temps de fumer un cigare accompagné d'un caffè corretto.

Si son cousin toscan, le Toscano (Classico ou Antico), est plus connu, notamment grâce ses apparitions cinéphiliques comme à la bouche de Burt Lancaster dans Il Gattopardo de Luchino Visconti ou, en demi-toscano, le Garibaldi, à celle Clint Eastwood dans les westerns spaghetti, l'Antico Sigaro Nostrano del Brenta est plus délicat. Roulé moins serré, il est est plus facile à fumer tout en conservant les notes rustiques de vieux cuirs que l'on aime. Il est le parfait compagnon d'un café ou l'on a laissé tombé un trait de grappa en observant le jour se coucher sur le grand canal.

Mais le Thello nous attend dans la gare déjà devenue nocturne. Il est temps de retrouver notre cabine pour une nuit pleine de souvenirs de 3 Days in Venetto, bercés par le roulis du train.

(1) En traversant la Suisse le train sort de l'Union Européenne et y entre à nouveau entraînant des contrôles douaniers : https://www.letemps.ch/suisse/train-nuit-traverse-lausanne-sarreter?fbclid=IwAR2B9fYQKH6T7uwXfn2Hr2o6qKWwH8RDYgCFaxDTo_EjkK9ryytptEB8qpo

(2) II existe plusieurs formule : en compartiment classique pour 6 (à partir 29€ par personne) ou 4 (à partir de 47€), des cabines supérieures pour 3, 2 (à partir de 87€) ou 1 personne et même des cabines individuelles avec toilettes et salle d'eau complète.

(3) Du 15 au 20 février 2005

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