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  • Texte & photographies Jean Dusaussoy

Le Privilège de l'âge / Vacqueyras (Vaucluse)


En cette fin de saison où le temps hésite encore entre l'hiver et le printemps, nous vous proposons 48h dans l'appellation Vacqueyras, avec en fond les Dentelles de Montmirail et comme fil conducteur les vieux millésimes, en compagnie de mon compère et ami, Philippe de Cantenac, toujours à l'affût de cuvées qui sortent du lot pour l'un des championnats qu'il organise pour le Revue des Vins de France.

A une époque où les vins sont bus dans les 5 ans maximum après la vendange, les déguster à maturité est un luxe nécessaire pour comprendre qu'un vin est bien plus qu'une boisson, mais un bout de patrimoine à protéger. Qui dit vieux millésimes, dit « absence de marquage » Accepter de sortir des sentiers battus, bien au-delà des recommandations de l'appellation (4 ans pour les blancs et 10 ans pour les rouges) pour plonger dans l'inconnu. Nous commençons notre immersion par le Domaine La Garrigue qui doit son nom au lieu dit où il est sis.

Virginie Combe et Simon Bernard, cousins germains, qui s’apprêtent à reprendre ensemble le domaine familial, nous attendaient avec une verticale d’une vingtaine de millésimes allant de 1973 à 2016 dans leur chai qui fera prochainement peau neuve.

La fraîcheur de la cuvée Tradition en vendange entière (80% grenache, 10% syrah, 5% mourvèdre, 5% cinsault) de 1973 nous reste encore en mémoire, avec une tendance affirmée pour les millésimes froids et compliqués (donc avec plus d'acidité) au départ qui se conservent mieux dans le temps et des notes animales (fourrure de lièvre), de cuir, de cèdre, de tabac, de graphite (1988) ou même d'immortelle comme le 1993 ou de camphre (2006). La cuvée Vieilles Vignes (de 80 à 100 ans), composée presque exclusivement en grenache avec une pointe syrah, est quant à elle plus sur le fruit rouge mûr, tout en conservant beaucoup de fraîcheur, comme le 2004 malgré des 16° annoncés. A partir des année 2010, les vins entrent dans une modernité, avec plus d'élégance et de fruit et moins de « bête », comme le 2014.

Mais s'il y a un millésime qui sort du lot, c'est bien le 1990, parfait équilibre entre la bête et le fruit. Il appelle la table ! Après un passage au domaine de la Longue Toque, où nous dégustons des millésimes de moins de 10 ans avec une mention spéciale pour le solaire 2011, Serge Ghoukassian, nous attend chez lui à Carpentras (1), pour faire rimer vieux millésimes et truffe en compagnie de Frédéric Vache du Domaine Le Clos des Cazeaux et de Frédéri Férigoule du Domaine Le Sang des Cailloux, conduit en biodynamie depuis 2010 et à partir de sélections massales depuis 2001.

L’arôme de la truffe étant puisant, mais sa structure fragile (chauffé au-delà de 65°C, il disparaît), celui-ci a besoin d’une matière, comme l’œuf, le gras ou le chocolat, pour infuser et se diffuser. Et c’est cette trilogie que Serge, va nous servir généreusement : brouillade à la truffe sur Un Sang Blanc 2004 camphré et fumé du Domaine Le Sang des Cailloux, un tournedos Rossini sur un ample Grenat Noble 2002 du Domaine Le Clos des Cazeaux et un moelleux au chocolat noir sur la fraîche Cuvée de Lepy du Domaine Le Sang des Cailloux... Là encore ce sont les millésimes froids qui s’imposent face aux millésimes chauds des autres cuvés apportées par les vignerons (2001, 2009).

Le lendemain, au Domaine de la Fourmone, un des domaines historiques de l’appellation. (il existe depuis 1765, dédié à la viticulture depuis 1910 avec une première mise en bouteille en 1964), nous découvrons la première vinothèque digne de ce nom. De manière empirique au départ et systématique depuis 2011, où 300 bouteilles de la cuvée emblématique des Cep d’or sont mises de côté chaque année.

C’est justement cette cuvée emblématique du domaine, constituée de vieilles vignes de plus de 50 ans de grenache, mâtiné de mourvèdre, que Marie-Thérèse Combe et ses deux enfants, Florentine et Albin qui reprennent le domaine petit à petit, nous font déguster en 6 cuvées de 1990 à 2015. Là encore, on peut constater l’évolution stylistique de l’appellation allant vers des vins plus portés sur le fruit et plus souple et moins giboyeux et rustique, peut-être en raison de la généralisation de l'égrappage. Mais pour qui est amateur de vieux vins et d'arômes tertiaires, le 1990 reste une perfection d'équilibre avec un fruit encore étonnamment frais qui se mêle aux arômes de cèdre et de tabac...

Chez Rhonéa, nous dégustons la cuvée Eternité, en 2012, à dominante de roussanne. Un millésime encore jeune, mais déjà marqué par l’évolution, comme on peut le voir à sa robe et aux arômes de sous bois qu’elle développe, et qui, du coup, se marient parfaitement avec les toasts de pain beurré, lamelle de truffe et fleur de sel que le chef du Dolium, Michel Ducellier, nous sert en amuse-bouche de son menu autour de la truffe.

Avec les trois cuvées de rouges, les Vieilles Vignes en 1997 (très sur le curry) et 2010 (aux arômes fumés) et le Château de Hautes Ribes en 2001 (où l’on retrouve ces notes animales), on a un cas d’école quant à l’évolution de la robe d’un vin rouge. De tuilé aux reflets orangers à gauche (on voit un bout du disque sur la photo), à dense à droite avec ce rouge sombre, en passant au centre par un rouge moins soutenu, presque décoloré (mais il est vrai qu’il ne s’agit pas de la même cuvée).

Au Château de Montmirail, Philippe Bouteillier, nous accueille avec une sérieuse sélection de rouge, sur trois cuvées allant de 1996 à 2010 et une cuvée de blanc sous bois Gabriel (2010), assemblage de grenache blanc, roussanne, clairette avec une pointe de viognier, qui donne des notes miellées avec du gras tout en restant tendue.

En rouge, les cuvées jumelles (70% de grenache et 20% de syrah et 10% de mourvèdre) Saints Papes (élevée dans un vieux foudre apportant de l’oxydation avec le temps) et Deux Frères (en cuve béton) ainsi que la cuvée de l'Ermite (aussi en cuve béton), à part égale entre grenache et syrah, étaient vinifiées en vendange entière jusqu’en 1999. Mais à partir de 2000, les vinifications se font systématiquement à partir de raisin égrappé, Philippe Bouteillier préférant les vins sur le fruit et pas trop végétal. A ce titre, la cuvée de l'Ermite 1999 et 2001 sont très parlantes, reflets de leur millésime, renforcés par les vinification : la première, végétale et tendue, la seconde fraîche et solaire. Le 1997 de la même cuvée (l’acidité de la syrah « éduquant » l’exubérance du grenache) trouve un bel équilibre et le 2007 offre encore un fruit croquant avec une belle acidité.

Nous terminons par le Domaine de la Monardière où Damien Vache, nous présente pour la première fois une jolie sélection de blanc avec la cuvée Galéjade (50% roussanne, 20% grenache blanc, 20% clairette, 10% viognier) en vinification intégrale dans des demi-muids (fûts de 600 l). Arômatiquement, la dominante est le miel, mais le millésime vient toujours apporter sa touche. Pain d’épices pour 2010, acidité et longueur pour le 2008, vanille pour le 2006 et enfin avec le 2001 des arômes tertiaires de truffe et de noix.

Côté rouge, on retrouve avec le Vieille Vigne 2000 (60% grenache, 20% syrah, 20% mourvèdre), totalement éraflé, vinifié en levures indigènes et élevé 18 mois en demi-muids, le côté animal et ample de l’appellation de ces années-là tout comme dans les 2 Monardes 2005 (70% grenache, 30% syrah), alors que le Vieilles Vignes 2008 conserve quant à lui beaucoup de fraîcheur et d ‘élégance. Décidément les millésimes froids sont un atout pour le vieillissement !

Un dernier regard pour les Dentelles, depuis l’une des nombreuses terrasses de la bien nommée et somptueuse chambre d’hôte Côté Dentelles, avant de partir, en se souvenant de la conversation avec le président de l’appellation, Jacky Bernard, propriétaire du domaine de la Ligière, sur la nécessité de créer une vinothèque dans l’appellation (2), au-delà des problèmes administratifs et logistiques que cela supposent, afin de préserver ce patrimoine gustatif. Car comment sinon se rendre compte du potentiel de vieillissement d'un vin si aucun vieux millésime n'est conservé ?

(1) Chez Serge : 90 Rue Cottier, 84200 Carpentras - tel 04 90 63 21 24

(2) Il faut savoir que presque aucune appellation possède de vinothèque, même si de plus en plus de vignerons en constitue une.

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