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  • Texte & photographies Jean Dusaussoy

Accord Cognac & Truite

(Première parution dans En Magnum #8)

Au départ, il y a la source qui alimente la Pisciculture du Moulin (1). « Située à plus de 150 mètres de profondeur, elle sort du gouffre de Gensac la Pallue à la température constante de 16° été comme hiver » dit Yann Lafond, pisciculteur de métier, mais pêcheur dans l’âme comme toute son équipe. D’ailleurs un tiers de sa production sert au repeuplement des rivières dont l’état s’est dégradé ces vingt dernières années. Le second tiers part pour la restauration (dont le Bistro de Claude à Cognac) et le dernier en vente direct (sur commande précise-t-il) car il ne veut pas augmenter sa production de truite fario (celles de nos rivières d’antan) et arc-en-ciel (l’américaine). Cela signifierait devoir chauffer les 1600 m2 de bassins (cf. photo), donner une alimentation plus grasse et donc perdre en qualité. Hors de question ! Il lui faut un an pour faire une truite à la portion (environ 300 grammes) et trois pour une truite de 2,5 kilogrammes (pour les filets). Sans parler des ses esturgeons (Baeri et Osciètre) pour lesquels il faut respectivement 8 et 10 ans pour qu’ils arrivent à maturité. Les premiers commencent juste à produire.

« Il est important de mettre en valeur les produits du Cognaçais » dit David Boileau, ambassadeur du Cognac pour le BNIC(2) en commençant la dégustation par un VS Frozen sur un carpaccio de truite, baie rose, ciboulette, câpre, oignon pickles, citron et huile d’olive. Se faire la bouche avec un peu de cognac, puis prendre un morceau de poisson et reprendre une gorgée de cognac dessus. Première sensation, un accord de texture. Le VS devenant légèrement huileux du fait de son passage au congélateur est « ton sur ton » avec la texture du carpaccio, tout comme il l’est aussi sur sa fraîcheur. Ensuite, une fois que le cognac se réchauffe en bouche, la vivacité du VS vient aiguillonner le gras de la truite et le jeu des saveurs se réveille. La baie rose et la ciboulette (du jardin) s’ébaudissent, le câpre est à l’équilibre, seul l’oignon pickles, où le vinaigre est trop présent, dénote. Une alternative possible pour un apéritif dinatoire est un Cognac Summit. Un long drink à base de VS, gingembre frais, zeste de citron et Ginger ale, le gingembre jouant ici comme une épice supplémentaire sur le carpaccio.

Le second met est une truite fumée à l’horizontale avec du bois de noyer ou de merisier. Un produit brut où l’on peut constater la qualité du poisson. Il ne laisse aucune trace de gras sur l’assiette et sa chair a de la tenue, mais est fondante en bouche avec une jolie couleur saumonée, à laquelle Yann Lafond s’apprête à renoncer malgré la demande du marché. « Dommage que l’on déguste d’abord avec les yeux » dit-il car il va cesser de mettre du colorant alimentaire dans l’alimentation de ses poissons pour obtenir cette couleur saumonée qui plaît tant et va devoir faire un travail pédagogique pour l’expliquer à sa clientèle. Côté dégustation, nous commençons par le VSOP (cf photo) qui domine nettement la truite de par son attaque alcooleuse en bouche suivie de son côté boisé, même si la finale vanillée du cognac n’est pas intéressante avec le fumé délicat du poisson, mais l’accord se trouve sur l’XO, servi à la température d’un vin blanc (entre 12 et 14 degrés). Servir le cognac frais permet juste d’éviter la « petite marche sensitive » de l’arrivée de l’alcool en bouche, puis, se réchauffant rapidement, l’XO dégage rapidement tout sa palette aromatique, avec des notes allant du registre pâtissier jusqu’au rancio. La délicatesse de la truite fait écho à celle du cognac.

Le VSOP, qui par ses caractéristiques dénotaient sur la truite, se marie mieux avec l’esturgeon fumé, plus ferme et neutre en bouche, ce qui fait ressortir son côté fumé répondant ainsi au boisé du cognac.

Nous terminons la dégustation par deux caviars Baeri, l’un « primeur » avec seulement un mois d’affinage, aux grains noirs et brillants qui développe des saveurs de beurre et de noisette en bouche et un second, affiné sept mois qui a déjà dégorgé son exsudat, fait penser à un beurre aux algues. Nous retrouvons les pistes d’accord que nous avions dessinées lors de l’atelier sur les caviars Petrossian (3). Le VS frappé sur le Baeri primeur fait merveille et la complexité de l’XO répond à celle du second.

Pour l’Osciètre, il nous faudra revenir dans deux ans car, à la Pisciculture du Moulin, truites ou esturgeons prennent le temps nécessaire pour arriver à maturité.

(1) Chemin Gouffre, 16130 Gensac-la-Pallue - Tel : 05 45 35 96 50

(2) Bureau National Interprofessionnel du Cognac

(3) En Magnum #6 - novembre 2016

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