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  • Jean Dusaussoy

Accords Insolites première / Foie gras & saké, un accord pas si décalé


« Parce que vivre est un art ! » C’est ce que nous proclamions avec Sébastien Ripari en lançant, voilà quelques mois, ce nouveau magazine en ligne à la recherche du Septième Goût, à l’opposé d’un art de vivre consumériste prôné par le life style. D’où l’importance pour nous de cette première soirée consacrée aux Accords Insolites, en partenariat avec les sakés Dassai et le Château de Courban, pour explorer l’accord foie gras & saké.

Tout a commencé par une intuition. Si l’accord traditionnel sur le foie gras est un liquoreux, le saké, contenant en moyenne de quarantaine de gramme de sucre résiduel, devrait pouvoir s’accorder avec les mêmes mets, en offrant une gamme d’arômes différents et surtout trois fois moins de sucre. J’en parlais à Kaoru Iida, ambassadrice des sakés Dassai (la maison Asahi Shuzo qui les produit est l’une des plus influentes de l’archipel avec une notoriété grandissante à l’international), qui me suivit immédiatement dans cette « intuition ». Restait à trouver un chef, connaissant les sakés et capable de sortir des sentiers battus sur son approche du foie gras, et un lieu pour servir d’écrin à la présentation de cet étonnant accord. Ce fut chose faite en rencontrant, au Château de Courban, le chef Takashi Kinoshita, qui a décroché cette année l’assiette dans le guide rouge, première marche vers l’étoile que nous pressentions (lire ici).

C’est ainsi que Frédéric et Jérôme Vandendriessche nous accueillirent vendredi dans leur château en Bourgogne, ainsi qu’une quinzaine de journalistes et blogueurs, venant aussi bien de la sphère du vin & spiritueux que de la gastronomie et du life style, pour découvrir en avant-première cet accord, avec ce sens de l’hospitalité qui les caractérise, fidèle à la devise familiale : « Comme à la maison, loin de la maison ».

Dire que le chef Takashi Kinoshita a pris ce défi au sérieux est peu. Quatre accords différents présentés à la dégustation plus un durant le dîner dans le restaurant privatisé pour l’occasion, dont deux réinventent la dégustation du foie gras et pourraient bien se retrouver prochainement dans un menu saké à l’étude au Château.

Mais commençons doucement avec le feuilleté au foie gras de canard aux épices et sa mousse de cumbawa servi sur un saké Dassai 50 frais (entre 8 et 10 degrés). Comme tout les saké de la maison Dassai, le 50 est un Daiginjo, 50 étant le taux de polissage résiduel minimum pour entrer dans cette catégorie de saké super prémium.

Pour sa pâte, le chef a « tout simplement » substitué le foie gras au beurre, ce qui la rend délicieusement fondante sans être trop grasse. La mousse de cumbawa aurait pu l’emporter sur le feuilleté si elle ne fut justement compensée par les arômes de fleurs et de fruits blancs que développe ce saké ample et facile d’accès.

La première surprise vint avec l’accord suivant. Une ile flottante de navet boule d'or au cœur de foie gras de canard poché et son consommé de canette et bonite, mochi frit et limequat, servi sur le même saké que précédemment, mais tiède à 30-35 degrés (une petite révolution pour la maison Dassai car les Daiginjo ne sont servis que frais en principe). La surprise de découvrir le foie gras quand la cuillère coupe les filaments de navet, le moelleux du foie en bouche et la surprise de l’umami en fin de bouillon (en raison des copeaux de bonite) par qui l’accord se fait car en réchauffant le saké, l’umami s’y révèle également.

S’ensuivit un granité de nashi aux agrumes, meringue légère parfumée aux fleurs de Sakura, copeaux de foie gras d'oie qui combiné au Dassai 23 et ses arômes tournant également autour des agrumes fit un rafraichissant « trou nippon » dans cette dégustation.

La seconde surprise fut le lobe de foie gras d'oie, préalablement mariné en pâte de riz et betterave rouge, juste grillé, avec sa salade de betterave et sa tuile à la betterave rouge, servi sur un saké Dassai Au-Delà, chambré à 15 degrés (cf. photo d'ouverture). Ce saké qui a nécessité plus de dix ans de recherche pour aller au-delà des 23% de polissage résiduel, limite réputée impossible à dépasser, a une telle longueur en bouche, qu’elle rappelle à Alexandre Vingtier, expert en spiritueux, « certains grands spiritueux qui peuvent avoir une persistance en bouche de plusieurs minutes… l’un des plus beaux sakés qui soit. » C’est cette « persistance » qui permit au saké d’enrober les saveurs complexes du foie aiguillonnées par l’acidité de l’assaisonnement de la salade de betterave, tout comme elle permit de déglacer, après le dîner, la riche fumée du Havane sur mon palais au coin de la cheminée.

Dîner qui fut l’occasion de revenir une fois encore sur un foie gras mi-cuit, dans une alliance plus classique avec la truffe, mais où celle-ci a pu diffuser tous ses arômes au gras du foie durant les trois semaines de maturation et de valider également l’accord saké-fromage, notamment sur un bleu de bufflonne d’Italie avec le Dassai 23 (toujours le fil rouge des liquoreux).

Mais le chef nous réservait une surprise en reprenant un accord classique de la gastronomie nippone, l’anguille. L’unagi est une institution au Japon (il existe des restaurants avec des menus entiers dédiés rien qu’à ce met) qui lui a même valu une palme d’or à Cannes en 1997. Celles préparées par Takashi Kinoshita sont arrivées vivantes le matin même de la région lyonnaise, afin de les laquer au saké une fois la peau ôtée, les griller traditionnellement à la braise et les servir en salade (cf. photo).

Le gras de l’anguille sublimé par la finesse des arômes du Dassai 23, un moment de fugitive éternité... car il en va des accords comme des relations amoureuses, l’un peut dominer l’autre ou bien le mettre en valeur, ce qui est déjà pas mal, mais il est des moments magiques où les deux se retrouvent, ni dessus, ni dessous, mais juste en face, se révélant l’un l’autre ou, pour reprendre une métaphore tauromachique, lorsque le taureau et le torero s’accordent sur le même rythme, « s’accouplant ».

Un grand merci à nos partenaires ainsi qu'au chef Takashi Kinoshita et à Daniel Etienne Defaix (qui nous a fait l'amitié de sa présence et celle de ses merveilleux vieux chablis de 2002 au dîner) pour la réussite de cette première session des Accords Insolites et rendez-vous pour de nouvelles « faenas » aux prochaines qui exploreront les accords Pata negra (pur ibérique pour les puristes) & vin jaune et Fromages & champagne... mais nous en reparlerons.

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