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  • Texte & photographies Jean Dusaussoy

Matthieu Cosse / Le jusqu’au-boutisme équilibré



Matthieu Cosse s’occupe aujourd’hui de deux domaines, l’un sur les coteaux d’Aix, le Château La Coste, l’autre sur l’appellation Cahors avec Catherine Maisonneuve, le domaine Cosse-Maisonneuve. Pour ce faire, il effectue un aller-retour quasi hebdomadaire. Portrait sous forme de transhumance viticole.

« équilibre & buvabilité »

Ce qui frappe lorsqu’on rencontre Matthieu pour la première fois, c’est sa force de conviction, due, autant à sa carrure d’ancien numéro 8 du XV d’Agen, qu’à une idée certaine du vin qui tient en deux mots : « équilibre et buvabilité. » C’est d’ailleurs grâce à elle que le propriétaire du Château La Coste, l'homme d'affaire Irlandais Patrick Mc Killen, lui a donné carte blanche pour restructurer les 128 hectares de vigne disposé en amphithéâtre, comme il l’explique le temps de gravir les coteaux depuis la gare et d’arriver au domaine où l’on retrouve cette notion d’équilibre dès le bâtiment, conçu par Tadao Ando, pour accueillir le visiteur. D’inspiration lecorbusienne (béton brut et formes géométriques percées d’ouvertures), l’édifice est conçu comme un seuil, un seuil au-delà duquel on entre en équilibre grâce notamment aux œuvres exposées à ciel ouvert comme avec cette araignée de Louise Bourgeois posée sur l’eau ou ce mobile de Calder dédoublé par son reflet. Et, magiquement, c’est cette même sensation d’équilibre que l’on retrouve dans les vins, une fois attablé au bord du plan d’eau.

Mais ne brûlons pas les étapes et revenons à Matthieu et sa passion du vin. Bien que né à Agen avec des racines dans les Gers, le Lot et le Lot et Garonne, il n’est pas issu d’une famille de vignerons et sa première gorgée de vin ne fut pas tirée du fût, mais d’un fond de verre lors d’un repas de famille au début des années 80, « probablement un liquoreux ou un rouge, mais un Bordeaux à coup sûr » précise-t-il. Une passion qu’il définit comme un « lien créatif à la terre. » qui passe par sa connaissance. Celle du terroir pour commencer, pour savoir que planter où, avec deux outils, le bio, pour le respecter la terre, et la biodynamie, pour tirer le meilleur de la vigne, mais sans la forcer, tout en douceur. Credo qu’il partage avec Catherine Maisonneuve depuis le début de leur aventure commune à Cahors, en 1999, puisé dans La Métamorphose des plantes d’un grand écrivain, mais botaniste méconnu, Johann Wolfgang von Goethe, puis développé par Rudolf Steiner (celui des écoles).

« Si Catherine ne m’avait pas libéré de certaines de mes obligations à Cahors, je n’aurais pas pu accomplir le travail qu’il y avait à faire ici depuis 2006. » dit Matthieu en préambule à la dégustation. Pas par fausse modestie, mais conscient qu’il s’agit du même travail qu’il continue, en solo, sur un autre terroir. « A dominante Terre et Air pour La Coste alors qu’elle est Feu sur Cahors, un grand terroir naturel du sud du Massif Central » précise-t-il plus tard en langage biodynamique.

« 95% Grenache et 5% de savoir faire »

La dégustation commence par La Pente Douce 2013 en blanc (70% rolle et 30% sauvignon blanc). Le même dégusté lors d’une première rencontre au restaurant Le Cinq (V) sur un tronçon de lotte en papillote, rouelle d’oignon roussi, crème et pointes d’asperges à la moutarde. On retrouve ce mélange d’animalité musquée et de minéralité calcaire, venant justement du terroir (limon argilo-calcaire), rare pour un blanc. La Pente Douce ou mi-pente est celle où sont situées ces parcelles alors que celles pour le Grand Vin (60% rolle, 30% sauvignon blanc, 10% chardonnay), toujours en blanc, se trouvent plus haut au sommet de l’amphithéâtre, là où le sol n’est qu’affleurement calcaire. Mais la Pente Douce, c’est aussi un petit clin d’œil au film de Gérard Krawczyk, L’Eté en pente douce et, peut-être aussi, un hommage à la douceur de la regrettée Pauline Laffont.

Avec La Pente douce 2012 en rouge (1/3 cabernet sauvignon, 1/3 grenache, 1/3 syrah), nous rentrons dans la suspension et retrouvons le seuil de Tadao Ando. C’est un « vin évolutif aux influences du Rhône du sud, océaniques et du Piémont italien à qui il faut laisser du temps, un vin de propriété qu’il faut savoir attendre » dit Matthieu.

Et que dire du Grand vin en Rosé 2013 (« 95% Grenache et 5% de savoir faire ») et de ses 18 mois d’élevage sur lies fines en cuve béton ? Sa réponse à la pression due à la demande en constante augmentation sur cette couleur surtout en Côtes de Provence (il souhaite que le rosé ne dépasse pas les 45% de la production du Château). Face à l’obsolescence programmée d’un vin fabriqué, Matthieu Cosse crée des vins de niche.

Soudain, le ciel s’obscurcit et l’orage gronde, un de ces orages tournants d’été. Matthieu enfourche un quad pour tenter de le devancer et de monter au sommet du vignoble, mais c’est en vain. Trempé, il admire en silence l’amphithéâtre de vignes le temps d’un portrait à la lumière saturée, puis il redescend en zigzagant entre les œuvres d’art dont est parsemé le domaine.

Le lendemain matin, départ pour Cahors où l’attend Catherine Maisonneuve. Cinq heures de route, millimétrées à la minute près, durant lesquelles Matthieu aborde quelques sujets comme les vins naturels sur lesquels il ne s’aventurera pas les trouvant « trop aléatoires à maîtriser » et présente les trois ilots constituant leur domaine de 18 hectares. L’un sur les coteaux du Quercy où ils font des vins de table hors toute appellation et en grande liberté : le Carmenet (100% cabernet-franc), Abstèmes s’abstenir (100% gamay) et le Sans Chichi (2/3 malbec et 1/3 merlot). Les deux autres, en appellation Cahors, à Lacappelle-Cabanac, avec La Fage et Les Laquets, et au-dessus de Prayssac avec Le Sid et La Margueritte, leur dernier bébé 100% auxérois (malbec) issu d’une boutonnière argileuse.

« I have a drink »

Une fois table avec Catherine au Caillau, un ancien domaine viticole transformé en auberge par un Anglais, la dégustation démarre avec Sans Chichi et sans Abstèmes, mais avec Carmenet (l’autre nom du cabernet-franc). Des vins de table avec 24 mois d’élevage en cuve béton pour les deux premiers et de 18 mois en fut d’un vin pour le dernier. Des vins gourmands et solaires sur le fruit, mais structurés.

Suivent les cuvées parcellaires en AOC Cahors avec La Fage 2009, dont les tannins s’accordent très bien avec le carré d’agneau du Quercy et son tian de pommes-de-terre au curry, puis avec plusieurs millésimes des Laquets 2012, 2011 et 2000 au velouté si rare qu’on se croirait transporté dans une autre appellation pour terminer par la cuvée La Margueritte, en hommage à l’ancienne propriétaire de la parcelle ainsi qu’à la grand-mère de Catherine. L’aboutissement de leur savoir-faire commun que Catherine aurait bien appelé « I have a drink ».

Mais c’est en allant à leur chai, construit à Lacappelle-Cabanac en 2007 et déjà trop petit (les travaux d’agrandissement pour un chai de vieillissement viennent juste de se terminer), pour goûter les jus que l’on comprend le secret de ces vins. Des vins de garage presqu’au sens propre comme au figuré. Ce chai encombré, avec le dynamiseur à l’entrée pour les infusions d’achillée, de prêle ou de pissenlit, les cuves de vinification d’un côté et un empilement impressionnant de barriques de vieillissement au fond ressemble à un laboratoire. « Le chai, c’est le domaine de Matthieu » confie Catherine sans dévoiler aucun de leurs secrets, mais un indice la trahit. Son porte-clefs qui pend à la porte d’entrée. Ce tandem complice semble bien avoir repris à leur compte le slogan d’un célèbre équipementier sportif : « Just do it ».

(Version complète du reportage publié dans le n° 30 de Terre de vins)

Château La Coste

2750 Route De La Cride, 13610 Le Puy-Sainte-Réparade Tel : 04 42 61 92 90

Domaine Cosse-Maisonneuve

Les beraudies, 46700 Lacapelle-Cabanac

Tel : 05 65 24 22 37

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