Un travail doublé d’une quête
Chroniquer sur le livre dédié à Emmanuel Giraud et à son travail entre gastronomie et performance culinaire, est un plaisir à double titre. D’abord, celui d’honorer une promesse faite, non pas à un ami, ce serait trop intime, mais à un compagnon de route et de table. D’aucuns s’imaginent que déguster n’est pas un travail. Ils se trompent, c’est non seulement un travail qui demande endurance et discernement (d’ailleurs c’est ce dont il sera question dans Le Marathon des ogres, une de ses prochaines performances), mais il est parfois doublé d’une quête (là, est le second plaisir). Et c’est justement ce dont il est question dans ce livre : Comment rendre compte d’une expérience culinaire une fois passée ? Quels souvenirs en restent-t-il ? Quels goûts conservent-ils ?
Villa Médicis
Si cette quête a commencé bien avant son séjour à Rome en 2009, c’est à la célèbre villa qu’Emmanuel Giraud a trouvé, en Marylène Malbert (historienne de l’art contemporain), la « pairing partner » pour en rendre compte, au-delà de ses propres ouvrages qui suivent chacun des cycles de ses performances. Pour cela, ils ont procédé par entretien à un travail d’enquête au long de ces années. Le tout reformulé ensuite par l’historienne pour donner du goût à cette mémoire et publié aujourd’hui aux éditions de L’épure, maison rare, consacrée aux plaisirs du boire et du manger.
Du côté de chez Georges…
Je ne dévoilerai rien des expériences passées, il faut lire le livre. Mais pour qui n’a jamais assisté à une performance du « Dottore in golosita », comme il aime se définir et que l’on pourrait traduire par « Maître ès gourmandise » (ce qui ne devrait être fait pour lui déplaire), je dirais qu’il y a une dimension religieuse dans ces cérémonies culinaires (la gourmandise n’est-elle pas un des sept péchés capitaux comme le relève justement Allen S. Weiss dans la préface ?) Le sacré y est à l’œuvre avec le potlatch comme moteur. Chaque performance est une offrande à un public choisi afin de récupérer plus tard en lui le souvenir de ce « don », un peu comme l’on passe au chinois un bouillon pour le débarrasser des éléments de la cuisson, la mémoire jouant le rôle de filtre.
et dépense proustienne
Une fois la « dépense » de la cérémonie, où Emmanuel Giraud officie en maître, passée, ce qui l’intéresse, c’est de lire dans notre mémoire les traces du festin. Là, il devient soudain proustien, mais de manière paléolithique (dont il adore d’ailleurs la cuisine), un peu comme les hommes de Lascaux voulant conserver une trace de leurs chasses sur les parois de la grotte.
Pour finir, je voudrais détourner en quelques mots cette phrase qui clôt Du Côté de chez Swan : “Les mets que nous avons goûtés n’appartiennent pas qu’au monde de l’espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n’étaient qu’une mince tranche au milieu d’impressions contiguës qui formaient notre vie d’alors ; le souvenir d’une certaine saveur n’est que le regret d’un certain instant ; et les terrines, les volailles, les venaisons, sont fugitives, hélas ! comme les années.”
Dernière minute : Le tout nouveau musée d'art contemporain de Charleroi (le BPS22) présentera deux performances d'Emmanuel Giraud lors de son week-end d'ouverture les 26 & 27 septembre. L'occasion de se rattraper !
Photo © Luc Jennepin / Emmanuel Giraud
Emmanuel Giraud, le Goût de la mémoire de Marylène Malbert - 22€
Les éditions de l’épure
Collection : Food & Design